Association de sauvegarde du patrimoine saulcéen

A.S.P.S.

Pierre Morestel : chanoine et doyen de la Collégiale (2/2)

PIERRE MORESTEL, PRÉCEPTEUR DU DUC D’ELBEUF,
CHANOINE ET DOYEN AU CHAPITRE DE L’ÉGLISE COLLÉGIALE DE LA SAUSSAYE (2/2)
Par Jean-Claude Delcroix

Jean-Claude Delcroix, un habitant de Saint-Didier-des-Bois qui a écrit l'histoire de son village, est un passionné du patrimoine religieux au sens large dans notre canton. Membre de la Société de l'Histoire d'Elbeuf, Il a écrit plusieurs articles, dont celui sur Pierre Morestel. Ci-après des extraits de cet article.

Pour faciliter votre lecture, n'hésitez pas à ouvrir dans un second onglet la chronologie de la vie de Pierre Morestel (cliquez-ici).

Désordres et désolations dans l’Église.

Le Cardinal de Joyeuse qui n’avait pu travailler comme il l’aurait souhaité au rétablissement de la discipline Ecclésiastique avait choisi, pour remplir les grands desseins et bannir la corruption des mœurs, de substituer Messire François de Harlay (son adjoint), homme que sa naissance, sa doctrine et sa vertu peu commune rendaient des plus recommandables. Il était arrière-neveu du cardinal d'Amboise et petit-fils de Louis de Brezé, dont les célèbres tombeaux décorent la cathédrale de Rouen.

Il se mit, nous dit Pommeraye, à faire lui-même les visites ordinaires de son diocèse, à s’informer des désordres, à remédier aux maladies les plus dangereuses. Son extrême désir était de remettre en vigueur l’observance des Saints Canons et la discipline ecclésiastique. Il passa sa vie à se disputer avec tout son diocèse : avec son chapitre, avec ses curés, à propos des visites des archidiacres avec Jumièges et Saint-Ouen, avec les Jésuites. Le désordre était tel que le rédacteur des statuts synodaux pouvait écrire : « Nous sommes déchus et venus en si pitoyable état qu'on ne sait qui gouverne ou qui est gouverné. »

« L'ancienne discipline renversée, l'usage des Conciles Provinciaux aboli, l'ordre des Synodes Diocésains interverti, la liberté des suffrages enlevée, la volonté seule du Prélat, et de ses Grands-Vicaires en la place de la Loi, et seule Loi, etc. Tant de maux affligeront sensiblement ceux qui étaient animés de l’esprit de Dieu ; mais accablés sous le poids de l'autorité, pouvaient-ils réclamer en faveur de l'ancienne discipline ? ».

Le guidon des prélats et bouclier des pasteurs.

C’est alors que Pierre Morestel osa entrer en lice et combattre pour la justice et le rétablissement de la liberté de l'Église de Rouen. En 1633, il composa un livre ayant pour titre Le guidon des prélats et le bouclier des pasteurs. Le 19 Décembre 1633, deux docteurs en théologie de la Faculté de Paris, dont il était membre, approuvèrent cet ouvrage « comme ne contenant rien qui ne s'accordât & fût conforme â la foi Catholique, Apostolique & Romaine ». Sur cette approbation, il obtint Privilège du Roi, ce qui l’autorisait à faire imprimer son livre.

Dans son ouvrage, Pierre Morestel mettait en cause le prétendu droit de visite des archidiacres et développait, à cette occasion, une ecclésiologie, exaltant l’institution divine des curés. Nous en connaissons les principaux chapitres par une publication parue en 1761, intitulée « Apologie des anecdotes ecclésiastiques, jésuitiques du diocèse de Rouen ». Cet ouvrage, qui honore la mémoire de Pierre Morestel et d’autres curés victimes de persécution, fut publié lors des campagnes anti-jésuites menées en 1761 visant à dissoudre les congrégations jésuites.

Il se composait de quatre épîtres dédicatoires : La première était adressée à MM. de la Cour du Parlement de Rouen. La seconde à MM. les révérends prélats. La troisième à MM. les vénérables curés du diocèse de Rouen, et la quatrième aux lecteurs. Puis il était ensuite divisé en quatre parties, à la tête desquelles se trouvait une préface contenant dix articles, dans lesquels on faisait voir le bonheur d'un diocèse gouverné par un sage prélat.

La censure.

Dès sa parution, le livre fit des impressions bien différentes dans les esprits. Tous ceux qui étaient touchés de ces maux, le trouvèrent excellent et en prirent la défense, mais M. de Harlay s'éleva hautement contre le livre et contre celui qui lui avait donné le jour. Au Synode d'été, c'était le mardi 30 mai 1634, M. de Harlay fit la censure du livre impie :

« Nous avons déclaré & déclarons, qu'un livre qui porte pour titre, le guidon des Prélats & bouclier des pasteurs, par Pierre Morestel de Tournus en Mâconnais, Prêtre, Docteur en Théologie, & pasteur de Saint Nicolas de la Taille au, païs de Caux, à Paris, 1634, est impie, schismatique, portant & frayant le chemin à diverses hérésies, perturbatif de l'ordre & juridiction ecclésiastique, destructif de la paix de l’Église, déshonorant l'état & la bonne intention de nos Curés ; qu'il vomit les blasphèmes presque contre tous les ordres & les dignités de la hiérarchie ecclésiastique, & qu'il contient d'autres propositions sans nombre, qui sont scandaleuses, calomnieuses, diffamatoires, téméraires & erronées, tendantes à mettre de la division partout, & comme tel, selon, l’autorité que Dieu nous a donnée, nous les avons condamnées & condamnons. »

Ayant été condamné par l’archevêque de Rouen, François de Harlay, Pierre Morestel se pourvut au Parlement de cette ville qui, le 2 juin, « défendit à l’imprimeur de publier, faire publier, imprimer, vendre ni exécuter lesdites Ordonnances et Mandements de censure contre ledit livre, à peine de mille livres d'amende, jusqu'à ce qu'autrement en eût été ordonné ».

L'archevêque ne resta pas inactif, il présenta sa requête au Conseil-Privé, aux fins d'être reçu opposant à l'exécution de l'Arrêt du Parlement rendu contre la censure du livre.

Pendant ce temps-là, la faculté de théologie de Paris, à qui l’archevêque s’était adressé, fit examiner le livre. Morestel l’ayant su, il alla trouver les docteurs commissaires, promit de se soumettre à leur jugement, et obtint d’eux qu’il ne serait point parlé de censure. Mais l’archevêque de Rouen fit aussi casser, par un arrêt du Conseil-Privé, toute la procédure du Parlement. C’était un plein succès pour la juridiction ecclésiastique.

Que devint Pierre Morestel ?

Les auteurs d’Apologie des anecdotes ecclésiastiques, concluaient : « nous savons et tenons de gens dignes de foi, qui le tenaient eux-mêmes de témoins oculaires, que l’infortuné pasteur fut contraint, pour ne pas être enfermé dans les sombres et puants cachots de l’Officialité de Rouen, de quitter sa paroisse. Il erra près de six semaines dans les bois et les forêts qui sont près de sa paroisse. Exposé aux injures de l’air et à la merci des bêtes farouches, moins cruelles que les Grands Vicaires de Rouen, il ne soutint sa misérable vie que des aumônes que lui procuraient furtivement et à la dérobée, ses paroissiens désolés… ».

Il est difficile de croire cela car Pierre Morestel avait de puissants soutiens capables de le protéger. Il s’était probablement réfugié auprès de sa protectrice Mme Chabot avant de revenir à La Saussaye.  

Dans Le Grand Dictionnaire Historique ou le mélange curieux de l’histoire sacrée et profane, Louis Moréri, prêtre et docteur en théologie, écrit :

« Morestel, du consentement du patron laïc, résigna la cure de Saint-Nicolas-de-la-Taille à François Chrétien, le 26 septembre 1640, pour prendre possession d’un canonicat (1) de La Saussaye, au diocèse d’Évreux. » Sur ce dernier point, Moréri se trompe car Morestel n’avait pas résigné son canonicat.

Pierre Morestel de retour au chapitre de La Saussaye écrira son dernier livre Eucyclpedia, sive artificiofa ratio et via circularis ad Artem magnan et mirabilen Lullii, paru en 1646.

Le 11 décembre 1647, il fît don au chapitre de sa bibliothèque qui comprenait « sept cents soixante et treize livres en divers volumes ».

Pierre Morestel, chanoine puis doyen au chapitre de l’église collégiale de La Saussaye.

François de Chanlecy résigna sa charge de doyen du chapitre au mois de novembre 1651. Les chanoines avaient la possibilité de choisir son successeur, mais cette fois encore, ce choix leur fut refusé. Convoqués en séance extraordinaire, Pierre Morestel leur remis une collation de l’Évèque d’Evreux qui allait en ce sens. Le 16 novembre 1651, Pierre Morestel pris possession de la prébende (2) dont jouissait Jean-François de Chanlecy. Le chapitre émis les réserves suivantes :

« Ledit Sieur De Morestel a été mis aussi en possession du Doyenné en présence de Louis de St Ouen, Sergent royal en la Sergenterie du Bec-Thomas sauf et sans préjuger du droit que le chapitre a d’élire un Doyen suivant qu’il est porté par la fondation, et recours à l’exploit dudit Sr Sergent, lequel exploit a été signé du chapitre et dudit Sr De morestel… ».

C’est de par son titre de doyen que Pierre Morestel devenait aussi curé de Saint-Martin-de-la-Corneille, ce qu’il notifia dans le registre de catholicité de cette paroisse. « Extrait [des actes] de baptêmes, mortuaires, mariages et lectures des contrats faits en la paroisse de Saint-Martin-de-la-Corneille par moi soussigné curé dudit lieu depuis le 16 de novembre 1651. »

Registre catholicite

Registre de catholicité de Saint-Martin-la-Corneille

La Saussaye, lieu de sépulture de Pierre Morestel.

Marguerite Chabot, décédait en son hôtel parisien, le 29 septembre 1652 à l’âge de 87 ans après 47 ans de veuvage. Son corps fut mis en dépôt dans l’église Saint-Paul, sa paroisse, jusqu’à ce qu’il fut transporté à La Saussaye. Sur la plaque de cuivre de son cercueil, on avait relevé, lors de la violation des sépultures en 1793, l’inscription suivante :

« Cy gist le corps de deffuncte tres-haute, tres-puissante et tres-illustre princesse, madame Marguerite Chabot, duchesse d’Elbeuf, comtesse de Charny, Pagny, Rahouy, Givry, vicomtesse de Neublanc...et autres lieux, veuve de tres-haut, tres-puissant et tres illustre prince monseigneur Charles de Lorraine, duc d’Elbeuf, pair et grand écuyer et grand veneur de France, gouverneur et lieutenant général pour le Roy en la province de Bourbonnois et ville de Poitiers, laquelle est decedée en son hôtel à Paris le dimanche, 29 septembre 1652 agée de 87 ans ou environ. »

Le 5 septembre 1657, le duc Charles II d’Elbeuf, dont Pierre Morestel avait été le précepteur, mourait d’hydropisie en son hôtel à Paris à l’âge de 61 ans. Neuf mois après Charles II, disparaissait Pierre Morestel.

Les registres capitulaires font mention de sa mort en ces termes :

« Le samedi septieme jour dud. Mois et an ( septembre 1658 ) deceda en sa maison canonialle, sur la minuit, aagé de 83 ans, Me Pierre de Morestel, presbtre, doyen et chanoine de l’église St Louis de la Saulsaye, curé de St Martin de la Corneille, docteur en theologie et autheur de la bibliotheque, lequel fut inhumé honorablement par les chanoines dudict lieu, le dimanche feste de la Nativité de Nostre Dame, dans un caveau de la chapelle de St Michel disposé pendant son vivant pour estre le lieu de sa sepulture. »

La chapelle Saint-Michel, située dans la grande nef de l’église collégiale, est aujourd’hui occupée par le musée de la Charité. Le chapitre de Saint-Louis de La Saussaye, par estime pour sa vertu et par reconnaissance du don qu’il lui avait fait de sa bibliothèque, voulut faire les frais de ses obsèques, et nomma le sieur Regnault, chanoine de la même collégiale, pour faire son oraison funèbre. On commanda un beau luminaire et on fit tendre la chapelle en noir avec 4 ou 5 douzaines des armoiries de P. Morestel. On n’oublia pas de préciser que les dépenses seraient remboursées sur les meubles du défunt.

Pierre Morestel composa pour lui-même dans sa dernière maladie plusieurs épitaphes ; la première en hébreu, la seconde en grec, deux autres en latin, et la cinquième en vers français. Voici la dernière :

Mon caveau j’ai bâti vivant encore en terre

Pour recevoir mon corps, espérant que le Ciel

Logera mon esprit en son quarré parterre

Pour y gouter toujours la saveur du vrai miel.

L’inventaire.

Pierre Morestel était mort sans héritier. L’inventaire de ses meubles fût demandé par le procureur fiscal d’Elbeuf. Une partie se trouvait dans la grange du presbytère de Saint-Martin-la-Corneille dont les clefs furent remises entre les mains du Sr St Ouen, secrétaire du chapitre.

Le mercredi 11 septembre, le procureur de Roi de Pont de l’Arche procédait à l’inventaire et mis les scellés à la grange. Les domestiques du défunt en furent les gardiens.

On chargea le chanoine Le Febvre d’écrire à son altesse pour la prier de faire tomber au profit de l’église les meubles de feu Mr le doyen. Le 20 septembre commença la vente d’une partie des biens du défunt. Le produit de la vente fût distribué aux chanoines résidents, ce qui provoqua des réclamations de la part d’un chanoine non capitulant.

Le 2 octobre, on arrêta qu’il sera dressé inventaire de la bibliothèque laissée au chapitre par Pierre Morestel.

On députa Mrs Regnault et Harel pour ce travail et l’on remit à chacun d’eux une clé de la bibliothèque dont ils étaient les gardiens.

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Catalogue des ouvrages de Pierre Morestel (cliquez-ici).

Exemple d'ouvrage :

Livre Pompa Ferralis

Pompa Feralis, sive justa funebria. Paris, Melchior Mondiére, 1621, format in 8°, 206 p.

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(1) Le canonicat est le bénéfice ou la dignité d’un chanoine. Synonyme : Chanoinie.

(2) La prébende est le bénéfice ecclésiastique (revenu) attaché à la charge d’un chanoine.

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