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L’ANNEE SCOLAIRE 1949-1950 PAR MADELEINE LAMBERT INSTITUTRICE
Témoignage rédigé en 2010 et recueilli par Guillemette Faille
et Henry Lambrecq pour l'Association Mieux Vivre
QUELQUES MOTS SUR MADELEINE LAMBERT (1924-2017)
Madeleine Lambert, née Louchard, naquit en novembre 1924 à Cesseville une commune du canton du Neubourg. Elle fit sa formation d’institutrice au lycée des filles à Evreux (faute d’Ecole Normale des filles alors bombardée).
Elle rencontra son futur époux, instituteur originaire de Troyes (Aube), dans un stage de gymnastique pour les enseignants. En 1949, après un mariage à Rougemontiers (où elle exerçait), tous deux armés de leur « Certificat d’Aptitude Pédagogique » arrivèrent dans notre commune en tant que Directeur et Directrice d’Ecole.
Portrait Madeleine Lambert vers 1950
Collection privée Thierry Lambert
Madeleine Lambert, bonne institutrice, était exigeante envers les élèves. En 1965, elle lança avec succès la première classe de 6ème avec 27 élèves. Le Maire M. Schneider (Ernest) la félicita vivement. Les autres niveaux de classe démarrèrent successivement les années suivantes, l’ensemble dans des locaux mobiles. En 1969, elle fut la première Directrice du Collège lors de son lancement. Elle acheva son itinéraire professionnel comme Directrice de Collège à Elbeuf/Seine. Dès lors elle apprécia avec son mari le « bon vivre » à La Saussaye.
A partir de 1955 et pendant de nombreuses années, elle fut également membre de la Commission Administrative du Bureau d’Aide Sociale.
Décédée en décembre 2017, elle repose près de sa famille au columbarium du cimetière Saint Martin de notre village.
SON TEMOIGNAGE
Je raconte ici mon installation à La Saussaye et plus particulièrement la rentrée 1949. J’étais sortie de l’Ecole Normale en 1946. C’est mon histoire et un tout petit peu celle de La Saussaye.
Ma voix chevrotante ne s’accorde pas avec un micro… Alors, Guillemette Faille a bien voulu me prêter sa voix, la sienne… Merci beaucoup.
La situation générale
Nous parlerons d’abord de la situation des Ecoles en général et de celle de La Saussaye à la rentrée 1949 :
- Les locaux sont inadaptés : trop petits (natalité importante à cette époque) et vétustes comme partout et surtout dans les campagnes.
- Les conditions de travail sont difficiles mais en compensation, nous avons des élèves intéressés, assidus, et des parents demandeurs, qui ne pouvaient pas toujours les aider mais les encourageaient sans cesse à travailler : « surtout travaillez bien à l’école » et pour nous les « instits » : des résultats.
A La Saussaye, en attendant la nouvelle école (Pasteur, je crois ?), on vit sur ses acquis, mais on ne peut pas pousser les murs ! [L’actuelle école primaire Fleming 2 s’appelait Pasteur à son origine].
C’est dans ce contexte qu’une semaine avant la rentrée en 1949, j’arrive avec mari, salle à manger Henry II et vélo à La Saussaye, village connu pour sa collégiale.
Regardons les locaux et les effectifs
Les Petits, environ 15 ou 20 élèves en cours préparatoire (ils avaient 5 ans) et une quinzaine en CE1 et CE2 (de 6 ans et 7 ans). Au total, 35 tables individuelles sont entassées dans l’actuelle salle d’accueil de la mairie [de l’ancienne mairie jusqu’en 2020].
Ecole des garçons puis mixte des Petits à partir de 1946
Les Grands CM1, CM2 et 2 années de fin d’études jusqu’à 14 ans occupent l’actuelle maison du pharmacien [celle de la famille Bausière].
Ecoles des filles puis mixte des Grands à partir de 1946
Collection privée Philippe Bausière
Abordons ensuite ma classe
Il me semble me rappeler que ma classe a la forme d’un trapèze, la petite base vitrée donne sur la place, le côté mitoyen de l’escalier supporte les tableaux de lecture.
Dans l’angle du fond, vers la cour, trône un volumineux poêle cylindrique de marque Godin ; ses tuyaux traversent la salle. Le chauffagiste, M. Minette grand-père de Patrice Lefrançois (je pense à toi Patrice), rafistole l’ensemble avec maints fils de fer auxquels il suspend des boîtes à conserve chargées de recueillir le goudron.
« J’allumerai tous les jours froids, ce poêle, je l’alimenterai à coups de seaux de charbon que j’irai chercher dans un bâtiment… en dehors des cours, bien sûr. »
Pour le mobilier : 35 tables, 1 bureau, 1 estrade encombrante sont entassés là. La circulation est difficile et surtout, surtout, mes 15 ou 20 CP ne pourront tenir ensemble devant le tableau de lecture… Vous verrez plus loin que c’est important pour ma carrière !
Mais est-ce que vous imaginez comment ça se passe dans ma classe ?
- A gauche : tableaux pour les CE2 - 1 bureau et plusieurs rangées de tables pour eux qui s’alignent jusqu’à la porte.
- A droite et en sens inverse : les CP, leurs tables, leurs tableaux…
C’est vu ? Alors continuons…
Occupons-nous maintenant du CP
Donc, ils tournent le dos aux CE2 et CE1. Donc, ils n’ont pas assez de place pour se tenir debout devant leur tableau sur lequel j’ai reproduit en couleur la page de leur livre de lecture.
Essayons 2 groupes : 2 groupes de 8
- Je me souviens de la blonde Annette Chatelain.
- Je fais lire le groupe A tandis que le groupe B aligne laborieusement sur leurs cahiers préparés la veille, bâtons, lettres, chiffres, etc…
Je surveille et fait travailler les deux groupes à la fois. Souvent un élève du CE vient m’aider et aide les petits qui écrivent ; il en a le droit s’il a terminé rapidement son travail bien fait. Les candidats au monitorat sont nombreux. On s’occupe ensuite du groupe B.
Vous voyez, je crois que ça va marcher… et vous ?
Une petite anecdote
Peu de temps après la rentrée, on frappe à la porte de la mairie, puis les coups s’énervent. Je vais voir : un grand Monsieur apparemment pas content, rentre, me met dans les bras chapeau et pardessus et pénètre dans la classe.
Tiens, M. l’Inspecteur ! Vous auriez pu vous présenter ! En ce temps-là, M. l’Inspecteur venait surprendre ses subordonnés ; il lui arrivait même de couper le moteur avant d’arriver à l’école !
En résumé, il n’appréciait pas du tout mon organisation. Pourtant les enfants l’avaient bien accueilli : tous debout : « Bonjour M. l’Inspecteur ». Mais des enfants qui se tournent le dos ???
Je lui dis : « M. l’Inspecteur, désolée mais vous allez sûrement me trouver une meilleure solution ? ». Sûr de lui, il essaie, dérange tout puis bat en retraite. Dans le rapport que je recevrai plus tard, je lirai : « Réussit particulièrement au CP ».
En juin 1950, un seul élève du CP n’a pas acquis l’art de lire ! (la famille est furieuse !)
Parlons des programmes
Tout : Instruction civique, morale, dictée, grammaire, rédaction, calcul, calcul mental, histoire géo, sciences naturelles, sport (très peu car aucune installation), dessin, couture, chant, etc…
Quand c’est possible, tout le monde suit l’histoire géo : les petits écoutent et les CE écrivent sur leur cahier les notes marquées au tableau qu’ils doivent ensuite apprendre.
Voyons enfin le comportement des enfants et des parents
Généralement bon. Les parents veulent que les enfants apprennent. Les enfants sont respectueux et presque toujours prêts à travailler. Quelques brebis galeuses sont remises dans le droit chemin par une bonne gifle… tant pis.
Les vêtements (j’ai un peu oublié, peut être pourriez-vous m’aider ?)
En général : tenue très correcte.
- Pour les garçons : culottes courtes et blouses noires et grises, galoches, cheveux courts (pas de casquettes à l’envers !).
- Pour les filles : blouses plus ou moins coquettes.
En conclusion
Je dirai que c’était une époque difficile et plus difficile à la campagne qu’à la ville. Les municipalités n’ont pas eu les moyens d’entretenir les bâtiments et maintenant elles attendent l’ouverture de nouvelles écoles. En attendant, on rafistole.
Pas de sanitaire ou très peu. Pas d’eau courante : une citerne avec chaîne à godets, souvent cassée… parfois reliée à un seul robinet dans le logement de fonction ; pas de téléphone bien sûr !
L’instituteur était corvéable à merci. On l’a vu : chauffage, mais aussi balayage, parfois réchauffage des gamelles ; infirmière non diplômée, etc…
A La Saussaye, la situation concernant les effectifs ne sera réglée qu’à la rentrée 1952, date à laquelle on ouvrira une classe supplémentaire [ouverture de trois classes dans l’école primaire Pasteur devenue Fleming2]. C’est Madame Questel qui a occupé ce 3ème poste. Et à cette époque enfin un logement de fonction digne de ce nom.
Post Scriptum
J’ai oublié de vous dire que j’ai obtenu trois modifications dans le fonctionnement de l’école :
1) Les élèves ne joueront plus sur la place comme l’an passé ; ils regagneront la cour de récréation un peu petite mais équipée de deux guérites surmontant une fosse pas aseptisée : une pour 35 élèves et une autre pour les occupants du logement.
2) Je ne distribuerai plus les papiers de mairie aux personnes qui viendront frapper aux vitres de la classe (ça grince !!).
3) La marchande de poisson n’aura plus besoin de s’arrêter devant la classe.
J’AIME L’ECOLE PRIMAIRE ET J’AIMAIS ENSEIGNER !
Madeleine Lambert
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