Association de sauvegarde du patrimoine saulcéen

ANDRE MAUROIS (1885-1967) : LA MAISON DE LA SAUSSAYE
Par Dominique Chollet

EXTRAITS DES MÉMOIRES D‘ANDRÉ MAUROIS

« Pour la convalescence de ma femme, les médecins m'avaient conseillé d'habiter hors de la ville et j'avais acheté à La Saussaye, joli village proche d'Elbeuf, sur le plateau du Neubourg, une maison qu'entourait un petit parc.

Jamais propriété ne fût mieux dessinée. Ses quatre hectares formaient un rectangle parfait. Un quart du parc était verger de pommiers ; un quart jardin fleuriste ; un quart potager ; un quart futaie de beaux tilleuls.

Le village minuscule, avait été construit, en des temps très lointains, par un chapitre de chanoines dont les petites maisons sculptées entouraient l'église. Un mur fortifié avait jadis protégé le tout ; Il n'en restait que deux portes aux arceaux romans, qui formaient un décor gracieux, fermé.

J'aimais tout de suite beaucoup notre maison de La Saussaye qu'entouraient à perte de vue des champs de blé pavoisés de coquelicots, de bleuets, de marguerites, et que l'on reconnaissait de très loin en revenant de promenade, aux trois peupliers qui se dressaient, comme des mats, au-dessus des tilleuls bruissant d'abeilles. »

« La maison, brique et pierre, toit d'ardoise, était exactement au centre du terrain. »
(à noter les pierres d’angle et les moulures aux fenêtres aujourd’hui disparues)

« Une roseraie en festons éclairait de ses Dorothy Perkins et de ses Crimson Ramblers l'allée centrale 

qui descendait vers la grille à travers laquelle on apercevait un clocher. »

EXTRAITS DU LIVRE « LE CARILLON DE FÉNELON » DE MICHELLE MAUROIS

Michelle Maurois (1914-1994) est la fille d’André Maurois et de Jane-Wanda de Szymkiewicz, dite « Janine ». Ecrivain, elle est l’auteur d'une saga bâtie sur des archives familiales : "L'encre dans le sang", "Les cendres brûlantes" et "Déchirez cette lettre".

« Je me souviens inopinément du goût incomparable des groseilles à maquereau que je volais à La Saussaye dans le jardin quand je tournais indéfiniment à bicyclette autour des allées. Je m’assurais que M. Mettais, le jardinier, n’était pas en vue avant d’extraire une fraise de son nid de fumier.

Je ne cueillais pas non plus des fleurs autres que sauvages, n’ayant pas encore été investie de la haute responsabilité de faire un bouquet en coupant au sécateur roses ou œillets de poète.

Seuls les boutons d’or, les marguerites, les bleuets, les jacinthes des bois, les coquelicots qui se fanaient dans la main étaient à moi, ainsi que les fruits tombés, les merises, les nèfles, les pommes vertes ou véreuses, abîmées ou meurtries. »

« Ainsi des maisons de l’enfance qui servent de matériau aux rêves. La maison, pour moi, c’était le Manoir Saint-Nicolas, à La Saussaye, un lieu qui me parait privilégié. »

« De ma cinquième à ma treizième année, mes étés s’écoulèrent dans cette propriété et surtout dans son jardin où je peux encore, les yeux fermés, rôder dans chaque sentier. Je sais où se dresse un rocher, où la terre devient boueuse après la pluie, où par les jours chauds, une bouffée du parfum des seringas ou des œillets mignardises vous surprend. »

« Aucun tour de jardin n’aurait été complet sans une halte chez Mamy Georges, la femme du chauffeur. Elle habitait une maisonnette derrière le garage et distribuait sourires et tendresse. Devant sa demeure, sur un tas de fumier s’étalaient, indolents et glorieux, citrouilles et concombres. »

« Près du court où papa jouait quelquefois au tennis en rentrant de l’usine, se trouvait un portique et Christiane, le fille du jardinier, et moi, n’ignorions plus rien des secrets du trapèze, de la corde à nœuds et des anneaux. »

« Un autre arrêt avait lieu chez Mme Mettais, la femme du jardinier, qui pesait plus de cent kilos et se tenait le plus souvent assise sur une chaise devant sa porte. Elle régnait en maître sur la basse-cour et me permettait de nourrir les lapins auxquels je faisais grignoter des fanes de carottes, les poules avides de grains de maïs, les dindons qui avalaient volontiers des noyaux de cerises. »

« Si je peux évoquer très nettement le bureau qui servait de salon avec sa bibliothèque en acajou sombre et verni aux rayons chargés de livres, avec le canapé en cuir noir capitonnée devant la cheminée entourée d’une banquette, je ne me vois guère dans cette pièce mais plutôt dans la salle à manger attenante dont les deux bahuts contenaient des étagères garnies de porcelaines de Rouen. »

« À La Saussaye, il se passait des choses bien intéressantes à la cuisine où il était facile de se faufiler, une des portes ouvrant directement sur le jardin. On m’y confiait des tâches importantes : dépiauter les pêches, dénoyauter les cerises, équeuter les fraises, monter les blancs d’œufs en neige au fouet (ce que maintenant je réussis rarement, même avec un instrument électrique, sans doute parce que j’ai perdu la foi et n’y trouve plus aucune exaltation), en échange de quoi j’avais la permission de déguster ce mets paradisiaque : un jaune d’œuf battu avec du sucre tandis que les blancs se transformaient en délicieuse meringues. Je pouvais aussi passer mon doigt dans les fonds des casseroles enduites de chocolat et le lécher.

Si j’ai l’impression qu’on faisait toujours des confitures, c’est sans doute que je n’allais à la cuisine que lorsque s’en échappait l’odeur de leur parfum qui envahissait la maison. Je goûtais l’écume rose qui apparaissait à la surface des bassines de cuivre où mijotaient ensemble les quatre fruits : fraises, framboises, groseilles et cerises et où la framboise éclipsait ses trois rivales qui, assemblées industriellement et vendues dans le commerce, n’ont pas le même goût. »

Les deux extraits ci-dessus des livres d’André Maurois et de sa fille Michelle redonnent vie au Manoir Saint-Nicolas et nous transportent au début du XXe siècle. La bibliothèque du salon est toujours en place et peut être vue dans les locaux de la Bibliothèque Pour Tous.

Ils font revivre, également, les membres de la famille Herzog et les personnes habitantes de La Saussaye à leur service.

Ils montrent l’attrait exercé par notre village sur les industriels du textile d’Elbeuf. Lors de nos promenades, nous pouvons encore admirer leurs belles demeures bourgeoises qui constituent une partie du patrimoine de notre commune.

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