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PIERRE MORESTEL, PRÉCEPTEUR DU DUC D’ELBEUF,
CHANOINE ET DOYEN AU CHAPITRE DE L’ÉGLISE COLLÉGIALE DE LA SAUSSAYE (1/2)
Par Jean-Claude Delcroix
Jean-Claude Delcroix, un habitant de Saint-Didier-des-Bois qui a écrit l'histoire de son village, est un passionné du patrimoine religieux au sens large dans notre canton. Membre de la Société de l'Histoire d'Elbeuf, Il a écrit plusieurs articles, dont celui sur Pierre Morestel. Ci-après des extraits de cet article.
Pour faciliter votre lecture, n'hésitez pas à ouvrir dans un second onglet la chronologie de la vie de Pierre Morestel (cliquez-ici).
Pierre Morestel précepteur de Charles II de Lorraine.
Pierre Morestel naquit à Tournus, en Saône-et-Loire, vers 1575. Bien que les renseignements nous manquent, nous pensons qu’il fit ses études secondaires dans le collège de cette ville, peut-être même à l’école de l’abbaye de Tournus. Il était « bachelier en théologie », puis après avoir été ordonné prêtre, il a été professeur dans différentes écoles et nommé principal du collège de Mâcon en 1597. Le collège a été très prospère pendant son administration. À Mâcon, où il se plaint de calomnies qui le font souffrir, il offrit sa démission et fut remplacé en 1602 par M. Amerrit (Arnault) de la Marque qui était « licencié en droit ».
Il entra alors au service de Charles 1er de Lorraine pour assurer l’éducation de ses enfants. Charles Ier de Lorraine mourut à Moulins, capitale de son gouvernement, le 4 août 1605 à l’âge de 49 ans. Il fut inhumé dans un caveau construit dans le chœur de l’église collégiale de La Saussaye.
Après la mort de son mari, Marguerite Chabot vînt à Elbeuf avec ses deux enfants, Charles et Henry. La famille logea, dans le vieux manoir seigneurial de la place du Coq, mais quelques jours après, elle alla demeurer chez le sieur de Mathonville, à Saint-Aubin-Jouxte-Boulleng. Le 26 juillet 1606, les deux jeunes princes reçurent une députation des chanoines de La Saussaye. C’est à cette occasion que Pierre Morestel, précepteur des jeunes princes, vînt à Elbeuf.
Tour du Château de Sieur de Mathonville
Pierre Morestel, chanoine non-résident au chapitre de La Saussaye.
Une prébende (1) était vacante depuis la mort du chanoine Mathieu Lefebvre en 1607. Usant de son droit de présentation, la duchesse d’Elbeuf, Marguerite Chabot, introduisit Pierre Morestel au chapitre de l’église collégiale, ce que n’apprécièrent pas les chanoines qui durent se soumettre aux volontés de la duchesse. Il fut pourvu d’un canonicat (2) le 15 novembre 1607.
Un registre des délibérations porte que le chapitre de La Saussaye admit Me Pierre Morestel, chanoine non-résident à la collégiale, aux distributions de blé. Cette répartition de blé devait faire partie de la pension que touchaient les chanoines qui, dans d’autres communautés, était complétée par une distribution de bois.
Pour Henri Saint-Denis : « Pierre Morestel, précepteur du jeune seigneur d’Elbeuf, qui fut un écrivain de mérite et que protégea toujours la duchesse d’Elbeuf, ce qui implique chez elle un certain goût pour la littérature, mais que les prébendés de La Saussaye, peut-être jaloux de ses talents et de son influence sur Marguerite Chabot, avaient pris en aversion. »
Pierre Morestel recteur à Saint-Nicolas-de-la-Taille.
Pierre Morestel résigna son canonicat en 1614 et fut remplacé par Me Louis Aillet, prêtre du diocèse d’Evreux, qui fut mis en possession de la prébende le 7 juillet 1614. Dans un document cité par H. Saint-Denis, il est écrit à la date du 14 décembre : « vénérable et circonspecte personne Me Pierre Morestel, prestre, cy-devant précepteur de très illustre et puissant prince Monseigneur Charles de Lorraine, duc d’Elbeuf....docteur en teologie et curé de la paroisse de Saint Nicollas de Latice (?)... estant de present au bourg d’Elbeuf ».
Mais qu’allait-il faire dans cette paroisse de Saint-Nicolas-de-la-Taille, dans l’archevêché de Rouen en Pays de Caux ? Dans cette région voisine de Bolbec, où les bois et les carrières offraient aux protestants des asiles contre leurs persécuteurs, la Réforme avait trouvé de nombreux adeptes.
Pour réagir contre la Réforme, le pape Paul III convoqua en 1545 un concile qui s’acheva 18 ans plus tard sous Pie IV. Le mouvement prendra le nom de Contre-Réforme ou réforme catholique. Le concile de Trente imposait en premier lieu des règles strictes de conduite au clergé et en particulier aux évêques. Il améliorait la formation des prêtres et promouvait l’enseignement du catéchisme. Il confirmait aussi la présence du Saint-Siège à la tête de la hiérarchie catholique.
C’est ainsi qu’au début du XVIIe siècle, le village de Saint-Nicolas-de-la-Taille fut choisi pour y fonder une école latine qui serait devenu un petit collège ou un séminaire. Cet établissement serait resté ignoré sans une note de M. de Beaurepaire signalant son existence.
Dans son ouvrage paru en 1621 Pompa feralis, sive Justa funebria, Pierre Morestel se présente comme recteur de Saint-Nicolas-de-La-Taille. N’était-il pas alors le principal d’une école latine qui venait de se fonder à Saint-Nicolas-de-la-Taille ? Théologien connaissant le latin et le grec, il en avait les capacités ayant déjà exercé cette fonction en Bourgogne. Il avait probablement déjà rencontré le cardinal de Joyeuse et son coadjuteur (adjoint) François de Harlay. Connaissant le précepteur du duc d’Elbeuf, ils lui auraient proposé de prendre en charge cette école latine.
Il est difficile de croire que Pierre Morestel eut résigné son canonicat pour prendre une simple prêtrise dans ce lieu où il n’avait aucune attache, mais il l’a fait parce qu’il a été appelé pour fonder cette école. Spécialiste dans les sciences et arts kabbalistiques (3), il composera la plupart de ses ouvrages à Saint-Nicolas-de-la-Taille.
Dix ans plus tard, en vertu de la présentation de Mme d’Elbeuf et de la collation des grands vicaires de Mgr d’Evreux, il retrouva un canonicat à La Saussaye, Le 27 février 1625, il fut mis en possession de la prébende vacante par la mort du chanoine Me Antoine Colas. Chanoine non-résident ? Probablement, car il restait prêtre et recteur de St-Nicolas-de-la-Taille, ce fut sans doute la raison pour laquelle il se tourna vers un ami pour la succession du doyen René d’Elbeuf.
Décès du doyen René d’Elbeuf, élection de Vincent Le Febvre.
Au seuil de ses soixante-dix ans, René d’Elbeuf, sieur de Beaumesnil et chanoine au chapitre de La Saussaye, résigna sa charge après s’être marié avec Isabeau de Lormeau, le 17 septembre 1628 à l’église St-Sulpice à Paris. Pendant 43 ans, de 1585 à 1628, il fut doyen de l’église collégiale et il semble bien que ce soit le plus long doyenné qu’exerça un chanoine à La Saussaye. Cependant, il ne résida guère dans son bénéfice, se contentant d’en toucher les revenus.
Le jeudi 16 novembre 1628, Me Vincent Le Febvre, chantre et chanoine, réuni le chapitre pour capituler et délibérer. Il fit savoir « que la qualité de doyen et curé de St-Martin-de-la-Corneille que tenait ci-devant MSr René d’Elbeuf, était vacante par incapacité, d’autant qu’il était constant que ledit Sr depuis quelques temps était marié, que partant, il fallait procéder à l’élection d’un nouveau doyen et curé de St Martin ».
Les élections se déroulèrent le même jour, mais en l’absence de Pierre Morestel. Les chanoines désignèrent Me Vincent Le Febvre qui accepta cette charge. Cette nomination ne changeait pas les habitudes des chanoines, car en l’absence du doyen, c’est le chantre qui avait la charge de Supérieur du chapitre, fonction qu’exerçait Vincent Le Febvre depuis des années.
Pierre Morestel s’oppose à la nomination du doyen.
C’est alors que Pierre Morestel intervint auprès du chapitre pour demander la démission du nouvel élu. Le chapitre qui s’était empressé de faire valider cette élection auprès des chambellans du diocèse s’opposa à Pierre Morestel.
Il y eu un arrangement car le 29 novembre 1628 l’on envoya deux chanoines pour porter une lettre à M. de Chanlecy qui était un ami de Pierre Morestel. Il avait dédicacé son livre Pompa Feralis, sive justa funebria paru en 1621. Tous les deux connaissaient bien la duchesse d’Elbeuf et étaient, comme elle, originaires de Bourgogne.
Au chapitre général du 6 décembre, on annonça « Mes Le Chanbre et Giroult ont été députés pour aller à Rouen au conseil touchant une démission que Msr Morestel prétendait faire faire au chapitre aux mains de Madame d’Elbeuf. Lesquels étant de retour ont rapportés qu’on ne le pouvait faire en bonne conscience... S’est présenté Me Pierre Morestel, docteur en théologie et chanoine de ladite église, pour au nom de noble homme Jean Fois de Chanlecy, pronotaire du St Siège, être reçu à la prébende, doyenné et bénéfice de l’église St Martin-de-la-Corneille. »
François de Chanlecy doyen.
Quatre mois plus tard, le 18 mars 1629, François de Chanlecy devenait le doyen du chapitre de La Saussaye. « Sans aucun contredit par ledit sieur Le Febvre avec les solennités accoutumées en tel cas, nonobstant la précédente élection faite par ledit chapitre le 16 mars [novembre] 1628 de la personne dudit sieur Le Febvre ». Pierre Morestel prenait alors possession de cette prébende : « Procuration donnée à Me Pierre Morestel par Jean François de Chanlecy pour ledit Me Morestel prendre possession de la prébende, comme ayant été ledit Me Chanlecy nommé audits bénéfices par toute et puissance princesse madame Marguerite Chabot duchesse d’Elbeuf. Ladite procuration passée le 6 février 1629. »
Originaire de Bourgogne, F. de Chanlecy était l’oncle d’Anne-Charlotte de Chanlecy, baronne de Sainte-Croix, qui avait épousé en secondes noces Charles de Batz de Castelmore de Montesquion d’Artagnan, le célèbre Capitaine lieutenant des Mousquetaires du roi Louis XIV.
Il fut doyen du chapitre de 1629 à 1651, mais nous ne savons que peu de choses sur sa personne. Selon Charles Revel, « Jean-François de Chanlecy, Seigneur dudit lieu, de Vassalieu, de Rabutin et de Baron, Conseiller Clerc au Parlement de Metz, [était] recommandable par sa piété, par son érudition et par cette parfaite connaissance qu’il s'est acquise du Blason et de l’armoirie qui lui fait tenir l'un des premiers rangs en cette science curieuse ». Jean-François et son frère Ponthus avaient leurs habitudes de vie au vieux château de Chanlecy. Les archives de la mairie conservent des actes de baptême signés par Jean-François et par sa nièce. Ils étaient souvent parrain et marraine de leurs fermiers et de leurs serviteurs.
De même que son prédécesseur René d’Elbeuf, il est probable qu’il ne fut guère présent à La Saussaye et nous ne trouvons pas la trace de son passage dans le registre de catholicité de Saint-Martin-de-la-Corneille, celui-ci étant par ailleurs lacunaire de treize années entre 1629 et 1651, année ou Pierre Morestel lui succéda.
Le chanoine Le Febvre restait le chantre du chapitre. Mais étant lui-même corrompu, il eut des difficultés à remettre la Compagnie dans le droit chemin. Pierre Morestel ne manqua pas l’occasion de le réprimander pour manquement à ses devoirs de Supérieur, menaçant même de porter les affaires en haut lieu. Plusieurs règles de déontologie furent rétablies que ce soit du point de vue moral et financier.
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(1) La prébende est le bénéfice ecclésiastique (revenu) attaché à la charge d’un chanoine.
(2) Le canonicat est le bénéfice ou la dignité d’un chanoine. Synonyme : Chanoinie.
(3) La kabbale est l’ensemble des commentaires mystiques et ésotériques juifs des textes bibliques et de leur tradition orale.