LE MONUMENT AUX MORTS DE LA SAUSSAYE (3 sur 4)
par Ludovic Fécamp
Le texte ci-après est extrait d’un article paru en mai 2016 dans le bulletin de la Société d’Histoire d’Elbeuf avec l’aimable autorisation de son auteur et d’Alain Becchia Président de cette société (pour voir plus d’infos sur la société cliquez-ici).
La description du monument (archives communales)
L’inauguration du monument
Il ne semble pas y avoir eu d’articles de presse relatant l’inauguration du monument aux morts de La Saussaye dans les journaux elbeuviens. Regrettant ce fait, la municipalité décida d’inclure dans le registre des délibérations de la commune, à la date du 5 septembre 1921, un compte-rendu très détaillé que nous avons choisi de reproduire intégralement car il qui fournit un historique très précis du projet et montre également très bien l’atmosphère de l’époque.
« Le 10 juillet 1921 a eu lieu l’inauguration du monument commémoratif élevé dans le cimetière de St-Louis aux morts de la guerre de 1914-1918. Ce monument d’un goût très sûr et d’un beau caractère artistique est dû à la générosité des habitants et de souscripteurs d’Elbeuf, de Caudebec et même de Rouen, qui ont observé des attaches avec La Saussaye, aussi à celle du président du comité d’initiative, M. René Nivert, qui s’est chargé de parfaire la souscription ; il est l’œuvre du sculpteur de talent elbeuvien, M. Robert Delandre. Avant sa mise en place, le 7 juillet, il avait figuré au Salon des Artistes Français (Grand Palais) à Paris, a valu à son auteur les commandes de trois répliques, ce qui est une preuve du mérite de l’artiste et des qualités esthétiques de l’œuvre même qui pourrait, d’après l’idée créatrice porter pour légende : Hommage de reconnaissance aux poilus.
Ce comité d’initiative eut d’abord comme président M. Henri Enout, adjoint au maire, mais après l’échec qu’il subit aux élections de novembre 1919, ne se croyant plus l’autorité morale suffisante pour diriger le comité donna sa démission. M. René Nivert présenté par le vice-président et le trésorier, nommé à l’unanimité, accepta de le remplacer. Le projet primitif dû à l’architecte M. Rabier, d’Elbeuf, fut abandonné avec le consentement de celui-ci. M. Nivert, désireux de doter la commune d’un monument qui n’offrit rien de la banalité, du convenu et du manque d’esthétique des monuments de ce genre et assura le comité qu’il chargerait un artiste de talent, de ses amis, de présenter un projet qui donnerait satisfaction à tout le monde. En effet, quelque temps après, M. Robert Delandre qui voulut bien se charger de l’exécution de la commande, envoyant à M. Nivert une maquette du projet, laquelle exposée à la mairie reçut l’unanime approbation d’abord du comité, ensuite de la population.
Après des retards successifs dus à des causes diverses et imprévues, notamment l’exposition au salon du 10 mai au 30 juin 1921, l’inauguration fut fixée au 10 juillet de la même année. Elle eut lieu sous la présidence de M. G. de Boury, conseiller général de canton, entouré de M. Hermier conseiller d’arrondissement, des membres du conseil municipal, et du comité, des maires des communes voisines, de la Société de Secours Mutuels L’Union présidée par M. Henri Enout, avec adjonction de l’Amicale des Mobilisés présidée par M. André Enout, fils, des délégations des sociétés suivantes avec leur drapeau : Clairons et sapeurs-pompiers d’Elbeuf ; Sauveteurs hospitaliers d’Elbeuf, président M. Emile Falcot ; Vétérans d’Elbeuf, président M. Rabier, architecte ; Anciens militaires de Caudebec-lès-Elbeuf, président de M. Jules Delandre.
Le matin avait été célébré par les soins de la Société de Secours Mutuels « L’Union », qui fêtait son 57e anniversaire, un service funèbre en mémoire des sociétaires et des enfants de La Saussaye tombés au champ d’honneur. La cérémonie avait revêtu un éclat des plus magnifiques, grâce au concours prêté d’artiste de talent, notamment M. Dumar violoncelliste, momentanément hôte de passage à La Saussaye, que dirigeait avec maîtrise et un réel talent, M. Liorel avocat, musicien distingué, grâce aussi au concours de l’orphelin de St-Pierre qui interpréta la Messe de requiem de Gounod.
L’après-midi à l’église, l’orphelin et les artistes exécutants interprétèrent un miseremini impressionnant. L’absoute et la bénédiction du monument furent données par M. le curé doyen d’Amfreville. Au cimetière, M. Maupas, qui avait prononcé à l’office du matin un magistral discours, prononça au pied du monument une allocution vibrante de patriotisme et de foi. L’orphéon de St-Pierre chanta l’hymne de Victor Hugo à ceux qui pieusement sont morts pour la Patrie, et les enfants des écoles que le comité avaient naturellement appelés à la cérémonie où leur place était tout indiquée dans le cortège chantèrent avec art sous la direction de Mme Lecomte, institutrice, un hymne aux morts et un autre hymne patriotique qui produisirent une grande émotion. La « lettre à papa » lue par la fille d’un des héros dont les noms sont gravés sur le monument, tira bien des larmes. Une poésie patriotique récitée par son auteur M. Paillotin, ancien combattant, souleva l’enthousiasme de l’assistance.
La remise du monument fut faite par M. Nivert, président du comité. M. Boquet maire, président d’honneur, le reçut au nom de la municipalité. Puis commença la série des discours : M. Prud’homme, vice-président du comité, ancien instituteur de La Saussaye, glorifia, comme maître de la jeunesse moissonné pendant la guerre ; M. Jean de Beaulieu, avocat, et littérateur talentueux, auteur des libres poèmes, fit un émouvant tableau de la vaillance des héros de la Grande Guerre ; M. G de Boury, aussi ancien combattant fit entendre des paroles réconfortantes ; il parla d’apaisement et d’union (puisse-t-il avoir été entendu) ; M. Rabier, un vétéran des expéditions en Algérie et de 1870, rappela la vaillance et leur gloire malheureuse des vaincus de 1870, et M. Goujon, encore un ancien combattant, au nom des familles des morts, remercia éloquemment la municipalité pour avoir donné aux héros glorifiés une sépulture perpétuelle, le comité pour avoir érigé à grand frais un mausolée digne de la gloire et de la vaillance des héros. Tous ces discours furent l’objet de bravos et d’applaudissements.
Quant au comité, il était ainsi composé : MM. Boquet maire président d’honneur, Renault Zacharie adjoint, Goujon Alphonse, Picard Aimable, Quidet Henry, Fossard Jules, Goujon Désiré, Hébert Adrien, Harel Léon, et René Nivert président du comité. Conseillers municipaux Prud’homme vice-président du comité, ancien instituteur et secrétaire de mairie, Pignot Jules trésorier de la Société de Secours Mutuels L’Union, Berment Victor, Hugues Henri, Métairie Désiré, représentant les familles des morts ; Enout André président et Dangereux Eugène représentant les anciens mobilisés. » (13)
Cette belle journée fut néanmoins entachée par une polémique dont la presse elbeuvienne se fit l’écho, dans un article intitulé « Pour les morts et pour les vivants ».
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La municipalité souhaita aussi par la suite orner son monument de deux obus, ainsi que cela commençait à se faire en de nombreux endroits. Le 3 novembre 1922, Désiré Goujon demanda au Conseil d’écrire au ministre de la Guerre pour obtenir ces deux obus, ce qui fut fait quelques temps plus tard (14). Le ministère de la Guerre répondit : « Par lettre du 4 décembre courant, vous m’avez demandé la cession de 2 obus destinés à orner un monument commémoratif. J’ai l’honneur de vous faire connaître que je transmets votre lettre au ministère du Commerce et de l’Industrie […] seul qualifié pour accorder les cessions de cette nature. » (15) Ce dernier répondit favorablement quelques jours plus tard (16).
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(13) Registre des délibérations, 5 septembre 1921, fol. 207-208. Une lettre de remerciement fut par ailleurs adressée à René Nivert pour le rôle qu’il avait joué, conformément à une délibération du 19 août 1921 (fol. 205).
(14) Registre des délibérations, fol. 3.
(15) Lettre en date du 23 décembre 1922 (Archives communales de La Saussaye, 1M11).
(16) Lettre du 30 décembre 1922 (Archives communales de La Saussaye, 1M11).