LA VIERGE A L’ENFANT : L'OEUVRE ET SON AUTEUR POSSIBLE
Par Dominique Chollet
Le tableau de la « Vierge à l’Enfant » est une huile sur toile dans un cadre doré. Après sa restauration, il a retrouvé sa place dans la Collégiale de La Saussaye. L’œuvre n’est pas signée mais l’expertise l’a datée du XVIIe siècle et a évoqué Nicolas Poussin ou l’école de Philippe de Champaigne comme auteur possible.
Qui sont ces deux artistes ? Quelle est leur influence au XVIIe siècle ?
NICOLAS POUSSIN
(c) Wikipédia
Dans la première partie du XVIIe siècle, Nicolas Poussin, peintre normand, fait partie des artistes qui marquent leur époque. Il est né en 1594 au hameau de Villers près des Andelys dans une famille de la petite noblesse. Il fait ses études dans un collège, à Vernon ou à Rouen, tenu par les Jésuites. Très tôt ses talents en dessin sont remarqués. Il découvre la peinture au contact de Quentin Varin venu d’Amiens pour réaliser une série de retables pour l’église des Andelys.
En 1612, il part pour Paris et entre dans l’atelier de Georges Lallemant qui travaille pour la municipalité de Paris. Il rencontre Alexandre Courtois, valet de chambre de Marie de Médicis et grand collectionneur. Celui-ci lui montre des reproductions de Raphaël et de Jules Romain (Giulio Romano), c’est son premier contact avec l’art italien. A la cour du roi de France, il retrouve Quentin Varin, protégé de Marie de Médicis. En 1617/1618, il effectue son premier voyage en Italie. Il s’arrêtera à Florence où il voit les œuvres de Michel-Ange et de Giorgio Vasari. De retour à Paris, il obtient une commande pour le collège des Jésuites de Paris pour laquelle il réalise six grandes toiles. C’est son premier grand succès public. Il rencontre le peintre Philippe de Champaigne et se lie d’amitié avec lui. Ils travaillent ensemble à la décoration du Palais du Luxembourg. Il rencontre, également, le Cavalier Marin, poète italien, qui le loge et lui procure des commandes pour la cour de Marie de Médicis.
En 1624, Nicolas Poussin s’installe à Rome. Il travaille pour le neveu du pape, le Cardinal Barberini. Il fréquente le milieu des peintres français dominé par Simon Vouet. Grâce à lui il obtient plusieurs commandes importantes. Mais après le départ de ses protecteurs, seul et gravement malade, il est accueilli chez Jacques Dughet dont il épouse la fille Anne-Marie en 1630. Le frère de celle-ci, Gaspard Dughet, devient son élève. Il décide, alors, de concentrer ses efforts sur des tableaux pour les collectionneurs privés. C’est un ensemble de mécènes et d’amateurs qu’il fédère autour de lui.
Sa renommée gagne Paris car ses peintures sont envoyées par Barberini au cardinal de Richelieu. Il fait la connaissance du collectionneur Paul Fréart de Chantelou, ingénieur militaire, qui devient l’un de ses soutiens et le ramène en France en 1640. Mais son retour à Paris est de courte durée bien que le Cardinal de Richelieu et le roi Louis XIII lui passe d’importantes commandes pour les châteaux de Saint Germain en Laye, Fontainebleau et le palais du Louvre. Poussin qui veut être libre et ne subir aucune critique, retourne à Rome en 1642. La période qui suit est la plus féconde de sa carrière où s’exprime le classicisme français. D’Italie il continue à travailler pour la cour du roi de France mais sa santé décline petit à petit. Néanmoins jusqu’à la fin de sa vie, il continue à réaliser des commandes pour les collectionneurs romains et français, ces derniers étant les plus nombreux. Il meurt à Rome en 1665.
Nicolas Poussin est inspiré par la beauté de l’Antiquité. C’est un peintre de sujets historiques et religieux dans lesquels il marie l’héritage antique et la tradition chrétienne. Il est l’inventeur d’un genre nouveau, le paysage idéal où la nature et l’homme sont intimement liés. Ses compositions figurent parmi les plus beaux paysages de la peinture classique.
PHILIPPE DE CHAMPAIGNE
(c) Wikipédia
Il est né à Bruxelles en 1602 dans une famille pauvre. Bien que d’origine flamande, il est classé dans l’école française car il a passé la plus grande partie de sa vie en France et y a laissé la plupart de ses œuvres. Dès l’âge de douze ans, il pratique la peinture et fait son apprentissage en Belgique chez Jean de Bouillon et Michel de Bourdeaux avant d’apprendre le paysage avec Jacques Fouquières.
En 1621, il vient à Paris et travaille chez Georges Lallemant. C’est à cette époque qu’il rencontre Nicolas Poussin qui logeait comme lui au collège de Laon et se lie d’amitié avec lui. Il quitte l’atelier Lallemant en 1625 et se met à son compte. Il participe avec Nicolas Poussin à la décoration du palais du Luxembourg sous la direction de Nicolas Duchesne, peintre en titre de la Reine. Il y peint plusieurs fresques des plafonds. Au début de l’année 1628, remarqué par Marie de Médicis, il entre au service de la famille royale. En raison de ce statut, il est sollicité pour un grand nombre de commandes, en particulier, à destination des couvents. Nicolas Duchesne étant décédé, il reprend son atelier et à la fin de l’année 1628, il épouse sa fille aînée. Il devient, avec Simon Vouet, l’un des deux peintres les plus réputés du royaume et travaille pour la famille royale presque exclusivement jusqu’en 1643. Preuve de son importance, il est le seul autorisé à peindre le Cardinal de Richelieu en habits de cardinal. Philippe de Champaigne travaille très vite ou fait travailler sous ses ordres et il trouve encore le temps de réaliser de superbes portraits.
Après la mort de sa femme en 1638 et celle de son fils en 1642, il se rapproche des milieux jansénistes et y consacre une partie de sa vie. Au sommet de sa gloire, il devient le peintre de Port-Royal à Paris, puis de Port-Royal des Champs. En février 1648, il fait partie des membres fondateurs de l’Académie royale de peinture et de sculpture. Il y est nommé professeur en 1655 puis recteur. A la fin de sa vie son activité pédagogique devient plus importante. Témoin impuissant des premières mesures contre Port-Royal, Philippe de Champaigne meurt à Paris en 1674.
Philippe de Champaigne est un peintre profondément religieux, respectueux du dogme catholique et des recommandations du Concile de Trente en matière de représentation. Il s’affirme comme un portraitiste de la haute société parisienne, ecclésiastique, noblesse d’épée et parlementaire. Son art est marqué d’une profonde spiritualité et traduit l’âme de ses sujets. Le rendu des carnations et des étoffes sont remarquables et ses compositions montrent son goût pour l’ordre et le style.
LE CLASSICISME FRANCAIS
Le classicisme est un mouvement culturel et artistique qui se développe en France et en Europe entre le XVIIe et le XVIIIe siècle. Au sens large, c’est la recherche d’un idéal de perfection à travers l’ordre, les proportions, l’équilibre et la rigueur. La mesure l’emporte sur l’excès, la raison sur la sensibilité.
Dans un sens plus restreint, le classicisme français désigne l’art qui s’épanouit sous le règne de Louis XIV. Il hérite des enseignements des modèles antiques et, aussi, des maîtres de la Renaissance. Il s’entoure de règles et se théorise avec la création de l’Académie royale de peinture et de sculpture en 1648 :
- respect de l’harmonie mathématique : la symétrie et le respect des proportions, la composition est claire et ordonnée, la règle des 3 unités (temps, lieu, action) doit être respectée. Ces règles servent à montrer la supériorité de la raison sur les sentiments.
- illustration de valeurs morales : l’art classique doit joindre l’utile à l’agréable, la peinture montre des actions vertueuses puisées dans la mythologie ou la Bible associées à un plaisir esthétique.
- sobriété des poses : les personnages sont représentés dans des positions statiques.
- le dessin est privilégié à la couleur.
- idéalisation de la nature.
Les grands représentants de ce style sont les peintres Poussin et de Champaigne et, également, Le Lorrain, La Tour, Le Nain et Le Brun.
L’OEUVRE
Tableau de sujet religieux, il représente la Vierge et l’enfant Jésus. Il a été acquis par un doyen de la collégiale.
Les personnages sont placés de face au premier plan et occupent tout l’espace. La Vierge, assise, tient l’enfant Jésus contre Elle dans une attitude protectrice. Ses vêtements forment un beau drapé. Sa chevelure est recouverte d’un voile et un manteau bleu, couleur mariale évoquant la voûte céleste, est posé sur ses jambes. Son regard est plein de tendresse. L’enfant Jésus se tient debout, il est nu enveloppé d’un linge. La représentation n’est pas celle d’un nourrisson mais déjà d’un petit homme. Son bras droit est levé tel un Christ en majesté. Les contours du dessin sont précis. La carnation et la musculature sont très réalistes. L’emploi de couleurs chaudes donne une impression de lumière, de protection et de plénitude.
Cette toile placée dans la collégiale rappelle l’importance et le rôle de la Vierge dans la religion catholique. Elle protège et intercède auprès de son fils. L’enfant Jésus est le Sauveur. Il est venu sur terre pour rassembler et montrer la voie vers Dieu.
L’AUTEUR
En ce qui concerne Nicolas Poussin, il travaillait seul et on ne lui connait qu’un seul élève, Gaspard Dughet, son beau-frère.
Vraisemblablement Philippe de Champaigne qui avait de nombreux élèves sous ses ordres, les faisait travailler sur des commandes au sein d’un atelier connu sous le nom d’école de Philippe de Champaigne. Quelques noms d’élèves sont connus : son neveu, Jean-Baptiste de Champaigne, Nicolas de Plattemontagne, Jean Mosnier, Jean Morin, Robert Nanteuil.
Jean-Baptiste de Champaigne, né en 1631 à Bruxelles, rejoint son oncle à Paris en 1643. Il reste méconnu car dans l’ombre de Philippe de Champaigne. Il entre à l’Académie royale de peinture et de sculpture en 1663 et à partir de 1674, il participe aux décors du château de Versailles, du salon Mercure notamment. A la mort de son oncle, en 1674, il reprend l’atelier. C’est un janséniste convaincu. Il est reconnu en tant que peintre religieux. Il est attaché au réalisme et à la brillance des matières. Il aime les compositions narratives en frise et insiste sur les musculatures.
En conclusion, de nombreux éléments nous laissent supposer que l’école de Philippe de Champaigne est à l’origine du tableau « la Vierge à l’Enfant » et pourquoi pas Jean-Baptiste de Champaigne ? Il reste à poursuivre les recherches pour trouver des documents qui iraient dans ce sens. Cela pourrait constituer une troisième partie à ce sujet.