Association de sauvegarde du patrimoine saulcéen

A.S.P.S.

Abbé Bellemin : fondateur du bureau de bienfaisance

L’ABBE BELLEMIN, FONDATEUR DU BUREAU DE BIENFAISANCE
Par Joël Quatrehomme et Jean-Claude Delcroix

Jean-Claude Delcroix, un habitant de Saint-Didier-des-Bois qui a écrit l'histoire de son village, est un passionné du patrimoine religieux au sens large dans notre canton. Il est auteur d’articles sur ce sujet dans le bulletin de la paroisse Roum’Oison (regroupement de 28 communes) dont il est coordinateur pour la Communauté de Saint-Louis de la Saussaye. Membre de la Société de l'Histoire d'Elbeuf, Il a écrit plusieurs articles, dont "L'histoire de Pierre Morestel, précepteur du duc d'Elbeuf, chanoine et doyen au chapitre de l'église collégiale de La Saussaye".

L’ABBE BELLEMIN

Amédée, François Bellemin naquit le 27 juin 1736 en la paroisse Saint Léger de la ville de Chambéry « Capitalle (*) de la Savoie, département du Mont-Blanc ». (*) Ainsi orthographié dans son testament.

Faute de documents disponibles dans les archives diocésaines et départementales, nous manquons d’informations sur son parcours religieux entre la Savoie et la Normandie.

À défaut d’avoir pu consulter les registres du Chapitre (1), ce n’est probablement pas avant 1766, qu’il fut installé à l’une des prébendes (2) de la collégiale de La Saussaye. Les chanoines prêtres assistaient et remplaçaient les prêtres desservants (3) des autres paroisses. Ainsi, en 1781, en l’absence du prêtre de Saint-Nicolas-du-Bosc-Asselin, c’est l’abbé Bellemin qui procéda au baptême d’un enfant.

Signature
Signature du Chanoine Bellemin en 1781

Difficile également d’affirmer s’il s’exilât au moment de la Révolution Française, quelques temps ou plusieurs années, comme le firent d’autres prêtres. Son nom n’a pas été retrouvé dans les registres des Ecclésiastiques insermentés embarqués dans les principaux ports de France de mai 1792 à mars 1793.

Et il est aussi difficile de suivre L. Delamare (4) qui écrit que « l’abbé Bellemin a quitté le pays avec l’abbé Deshayes », alors que ce dernier était présent à La Saussaye en 1794. Agent municipal, Antoine Noël Deshaÿes fut élu le 6 novembre 1795 pour remplir les fonctions d’officier de l’état civil et rédiger les actes de naissances, de mariages et de décès des citoyens (5).

Sans prêtre desservant (3) depuis le concordat de 1801, et sans avoir été nommé par le diocèse, l’abbé Bellemin fut considéré comme étant celui de St-Martin-la-Corneille jusqu’au 1er janvier 1804, date à laquelle cette paroisse rejoignit celles de St-Ouen-du-Thuit-Anger et St-Nicolas-du-Bosc-Asselin réunies depuis un an à la paroisse de La Saussaye.

« Il donna toute sa vie le spectacle d’une piété édifiante ; aveugle sur la fin de ses jours, et ne pouvant plus dire la messe, il recevait chaque matin la communion dans son humble retraite ». (4)

Il décéda le 8 mai 1813 à 3 heures du matin en son domicile de Saint-Martin-La-Corneille à l’âge de 77 ans après avoir reçu les sacrements.

Le lendemain de son décès, il fut inhumé au cimetière de cette commune « par Mr le Desservant (3) de la Harengère, en présence de Mrs les Desservants de Thuissimé (*), de Saint Cyr et autres soussignés et à l’aide de notre Charité (6) ».

Acte inhumationActe d’inhumation du Chanoine Bellemin en 1813

Marie-Antoine-Michel Berment (prêtre et un des derniers chanoines de la Collégiale), Amable Petel (curé de Pont de l’Arche et ancien curé de La Saussaye), ses frères Honoré Petel (curé de La Saussaye), Félix Petel desservant de Fouqueville et Chetien desservant de Thui Signol (*) signèrent l’acte d’inhumation. (*) Ainsi orthographié dans l’acte.

Par testament, il légua tous ses biens pour fonder un Bureau de Bienfaisance.

SON TESTAMENT

En juin 1810 devant Maitre Viger, « notaire impérial à la résidence de Daubeuf » (canton du Neubourg), Amédée François Bellemin, ex-chanoine et prêtre, « sain de corps et d’esprit » dicta « sans aucune contrainte ni suggestion » son testament en présence de « témoins majeurs, sujets de l’empereur et ayant les qualités requises ».

Testament original Testament recopie
Testament original (1810) et sa recopie (1887)

Par cet acte, il donnait et léguait aux « pauvres, infirmes, vieillards et autres personnes en nécessité » tous ses biens meubles et immeubles. Il indiquait que lors de son décès la somme d’argent récoltée « de la vente de son mobilier, de ses arrérages, rentes, fermages et autres sommes mobilières » était destinée pour trois quarts aux nécessiteux de l’église de La Saussaye et le surplus à ceux de La Harengère et Saint-Cyr-La-Campagne pour un demi-quart à chacune de ces communes.

Il imposa que cette distribution de fonds et de rentes, administrée par « des desservants (3), trésoriers ou marguilliers (7) de l’Eglise » sans aucun profit, soit inaliénable et à perpétuité. Il fixa également la tenue d’assemblées entre les administrateurs des trois communes pour délibérer à la majorité des deux tiers sur l’emploi des capitaux disponibles et la distribution des revenus. Il chargeait ces derniers d’assurer la distribution des aides en leur âme et conscience dans le respect de ses intentions.

Dans ce même testament, il affecta spécifiquement quelques donations à des proches.

Enfin, Il institua comme exécuteur testamentaire Jean-Baptiste Hervé Despaignes de Plancheville qui demeurait au Château de La Saussaye. Ce dernier était Maire de Saint-Martin-La-Corneille.

LE BUREAU DE BIENFAISANCE

Par ses volontés testamentaires, l’abbé Bellemin posa les fondations du Bureau de Bienfaisance de La Saussaye.

Plaque honorifique collgiale
Plaque honorifique - Collégiale de La Saussaye

Suite à un rapport du Ministère de l’intérieur, le Conseil d’Etat par un arrêté de juin 1815 autorisa et institua le Bureau de Bienfaisance de La Saussaye à accepter, au nom des pauvres des communes de La Saussaye, Saint-Cyr-La-Campagne et La Harengère, le legs du « Sieur » Amédée François Bellemin. Sa valeur s’élevait à 15 400 francs dont 885 francs provenaient de la vente de ses biens mobiliers « à leur juste prix et sans crue ». A noter que ce capital se composait majoritairement de placements et que seules les rentes annuelles associées étaient disponibles.

L’exécution effective de cet arrêté commença en juin 1818 par un bilan comptable de la situation et un transfert de responsabilité de la gestion du legs entre l’exécuteur testamentaire Jean-Baptiste Hervé Despaignes de Plancheville et les administrateurs représentant les trois communes bénéficiaires. Ces derniers devaient prêter serment avant d’entrer en fonction. Parmi eux figuraient les curés : Antoine Noël Deshayes pour La Saussaye, François Henry Dantan pour Saint-Cyr-La-Campagne et Joseph Victor Héribel pour La Harengère.

Plusieurs notes de la Préfecture de l’Eure dans les années 1830, relatives à la nomination d’un Receveur Municipal commun aux trois communes, montrent l’implication de l’Etat dans le bon fonctionnement du dispositif. Partout en France les Bureaux de Bienfaisance, à l’origine organismes caritatifs religieux, devinrent peu à peu municipaux.

A cette époque, la précarité était significative dans notre commune. En 1840, en application de la loi, un recensement dénombrait 21 mendiants résidents (hommes, femmes et enfants) pour 537 habitants, soit environ 4% de la population. Pour lutter contre cette mendicité, la commune administrait un atelier de charité. Cette disposition légale permettait contre une rémunération horaire de faire exécuter des tâches aux « indigents » comme ramasser des cailloux dans les champs.

En réponse à cette situation de pauvreté, le Bureau de Bienfaisance distribuait aux personnes les plus nécessiteuses des produits pour se nourrir, se vêtir et se soigner. Le pain, la viande (des tranches de porc conservées dans du sel) et des « cotrets » (fagots de bois pour cuisiner ou se chauffer) constituaient la dotation hebdomadaire de base. Selon leurs besoins, il complétait par du linge, des vêtements, des sabots ou galoches et des médicaments voire de faibles sommes d’argent. Il désignait également les personnes bénéficiaires de l’assistance médicale gratuite.

Les nombreuses délibérations entre 1818 et 1955, témoignent de l’importance de cette œuvre de bienfaisance dans le secours aux plus démunis.

Depuis octobre 1955, conformément à la loi, le Bureau d’Aide Sociale renommé Centre Communal d’Action Sociale (CCAS) en 1986 assure les missions d’aide sociale et de lutte contre l’exclusion dans notre commune.

L’abbé Bellemin, bien au-delà de son rôle de prêtre et chanoine, fut un précurseur de la bienfaisance pour ses paroissiens. Une plaque dans la Collégiale rappelle son acte d’humanité.

Une rue de notre village porte son nom en souvenir de sa générosité. N’oublions pas ce personnage remarquable.

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(1) Le Chapitre est l’assemblée des chanoines attachés à une église cathédrale ou une église collégiale.
(2) La prébende est le bénéfice ecclésiastique (revenu) attaché à la charge d’un chanoine.
(3) Un desservant est un ecclésiastique qui dessert une cure, une chapelle, une paroisse (curé).
(4) Livre « La Saussaye et sa Collégiale » par L. Delamare (1879).
(5) Suivant l’article 12 du titre 2 de la loi du 19 vendémiaire An IV : « dans les communes au-dessous de cinq mille habitants, l’agent municipal, ou son adjoint, remplira les fonctions d’officier de l’état civil. Dans les autres communes, chaque municipalité nommera l’un de ses membres pour exercer lesdites fonctions ».
(6) De nos jours, une Confrérie de Charité est une association religieuse dont les membres assurent bénévolement les inhumations, accompagnent et soutiennent les familles en deuil et participent aux offices religieux en assistant le célébrant. Les frères qui composent la Charité sont appelés Charitons.
(7) Un marguillier est un membre du Conseil de Fabrique d'une paroisse.